Brettanomyces : Moyens de diagnostic et de contrôle du développement dans les vins

Brettanomyces : Moyens de diagnostic et de contrôle du développement dans les vins

Brettanomyces : Mythes d’hier et Réalités d’aujourd’hui Moyens de diagnostic et de contrôle du développement de Brettanomyces/Dekkera dans les vins

Cette saga est découpée en 6 articlesLire l’introduction, l’Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins.
Quels sont les facteurs et les pratiques qui influencent le développement de Brettanomyces dans les vins ?
Moyens de lutte préventive contre Brettanomyces et Brettanomyces : Les moyens de lutte curative.

 

Brettanomyces est une levure connue depuis bien longtemps mais qui fait couler beaucoup d’encre depuis peu. Dernier sujet à la mode, les polémiques, mythes, solutions miracles sont désormais légions et contribuent à compliquer énormément un problème sérieux mais pour autant pas si complexe que certains voudraient le laisser croire… L’abondance d’informations de qualité variable sur ce sujet a plutôt nuit à la gestion et à la solution de la problématique Brettanomyces dans les vins rouges. Cet article a pour objectif principal de faire le point sur les éléments clés susceptibles d’influencer significativement le développement de microorganisme dans les vins et de dégager les outils pratiques et efficaces pour le contrôle de son développement.

L’observation microscopique est parfois évoquée pour « identifier » la présence de Brettanomyces. Il est donc utile de préciser qu’il est totalement illusoire de pouvoir distinguer et a fortiori identifier ce genre de levures dans un vin car aucun des types morphologiques caractéristiques ne se maintient clairement dans les conditions physico-chimiques du vin ! Ceux qui distinguent des Brettanomyces par la seule observation sont donc victimes la plupart du temps d’hallucinations…

Le Dosage des éthyl-phénols permet de diagnostiquer clairement la présence actuelle ou passée de Brettanomyces/Dekkera dans un vin. Son suivi régulier (mensuel en période estivale) au cours de l’élevage permet, de la même manière que l’on suit l’évolution des bactéries acétiques par le dosage de l’acidité volatile, de suivre le développement des populations de levures bien avant qu’elles n’atteignent un seuil critique. Cette technique que nous avons initiée pour la surveillance de l’élevage en barriques il y a déjà plusieurs années (Suivi Brett® d’EXCELL),est simple (prélèvement d’un échantillon de plusieurs barriques représentatives) et rapide (24h) ; elle permet de réagir facilement dans la cave (soutirage, sulfitage, filtration ou action plus énergique) selon l’intensité du développement décelé d’après la variation de teneurs en phénols volatils. A ce stade, le contrôle microbiologique n’a que peu d’intérêt. Le contrôle microbiologique en cours d’élevage est nettement plus compliqué (prélèvement stérile), lent à produire (5 à 8 jours) et difficile à interpréter (voir ci-après) s’il procède par culture. En effet, en raison (i) des variations existant d’une souche à l’autre en matière d’ajustement des cinétiques de croissance à la production de phénols et (ii) des différences de capacité de production de phénols d’une souche à l’autre27,il n’existe pas de relation claire entre population viable et teneur en phénols volatils. En conséquence, au cours de l’élevage, peu importe finalement de connaitre la population de Brettanomyces/Dekkera, mieux vaut connaitre la teneur et l’évolution de la teneur en phénols pour prédire les conséquences pratiques au niveau de la qualité du vin. Cette technique devrait être généralisée dans les caves élevant un grand nombre de barriques de vins de haute qualité pour prévenir toute évolution indésirable grâce à une fréquence de contrôle mensuelle notamment en période estivale de Juin à Octobre.

Le contrôle et la détection des populations de micro-organismes

La connaissance des populations de Bretanomyces/Dekkera est en revanche indispensable avant l’embouteillage pour estimer le risque de déviation future en bouteille! Il est incompréhensible que des vins puissent être aujourd’hui conditionnés sans avoir été contrôlés au préalable. L’estimation des populations peut être réalisée à l‘aide de différentes techniques, mais pour tous le prélèvement de l’échantillon doit être réalisé sur un vin homogénéisé car Brettanomyces n’est pas un germe mobile et a donc tendance à sédimenter au fond des récipients.

La première méthode procède par le dénombrement des populations viables obtenues après culture sur un milieu spécifique. Cette méthodologie présente trois limitations principales. La première est relative à la soit disant spécificité des milieux de culture utilisé. Il s’avère que la grande majorité des laboratoires et des milieux de culture aujourd’hui commercialisés ne sont pas des milieux strictement spécifiques de Brettanomyces/Dekkera. Ils sont (aux mieux) plutôt spécifiques des levures non Saccharomycodes (utilisation du cycloheximide comme agent sélectif). Le vin (en particulier ceux élevés en barriques) peut abriter des levures se développant sur ces milieux (Pichia sp., Hansenula sp., Zygosaccharomycodes, Hanseniaspora sp.) mais qui ne présentent pour autant aucun risque de produire un caractère « phénolé ». L’utilisation de ces milieux a donc tendance à surestimer parfois fortement les populations présentes (vins prélevés en barriques). Ensuite, le dénombrement des cellules viables dans le vin nécessite une durée de culture variant entre 5 et 8 jours, un temps suffisamment long pour développer une altération si le vin est notablement contaminé…Enfin, le dénombrement par culture ne prend pas en compte les « germes viables mais non cultivables » (VNC) qui correspondent à des cellules dans un état physiologique stressé, incapables de se multiplier à court terme, ce qui les laisse passer pour morte alors qu’elles sont en fait capables de se multiplier à moyen ou long terme. Les VNC représentent malheureusement la grande majorité (70 à 90%) des micro-organismes présents dans les vins bien élevés et correctement préparés à la mise en bouteille (collage, filtration et niveaux de dioxyde de soufre actif ajustés pour réduire le plus possible la présence microbiologique en général). Il s’ensuit donc toujours une sous-évaluation du risque lorsque la microbiologie traditionnelle est employée. Si elle est employée, elle doit au minimum utiliser un milieu performant et vraiment sélectif comme celui que nous avons développé et que nous avons mis à disposition (Excell Brett Selective Medium©).

Le dénombrement à l’aide des techniques de biologie moléculaire permet d’accéder de manière très spécifique et rapide aux germes appartenant au genre Brettanomyces/Dekkera. La technique utilisant la PCR (Polymerase Chain Reaction) quantitative en temps réel (RT-PCR) permet de mesurer précisément et de manière sensible (10 cellules/ml) le nombre de cellules présentes d’après le nombre de copie d’une fraction spécifiquement amplifiée du génome de ces levures28. La détection simultanée à l’amplification permet d’obtenir des résultats quasiment en temps réel après avoir extrait et purifié l’ADN contenu dans les cellules ; le laboratoire obtient des résultats dans la journée ou la demi-journée ce qui est extrêmement utile. L’analyse de l’ADN contenu dans des cellules intègres permet en théorie de mesurer les cellules viables, qu’elles soient dans un état quiescent ou non. Dans la pratique, cette technologie a tendance à surestimer légèrement les populations réelles car il s’écoule quelques semaines entre la mort, puis la perte d’intégrité d’une cellule et la disparition totale de l’ADN amplifiable dans le vin ! Avec la RT-PCR classique, on mesure donc plutôt les cellules totales.

Une modification du protocole (EMA-RTPCR) avant amplification (intercalation de bromure monoazide d’éthidium ou des sels similaires) permettrait de déterminer désormais spécifiquement les « vraies cellules viables »29,30 lorsque les populations sont suffisamment abondantes (on parle QV-RT-PCR). Néanmoins, en l’état actuel des réactifs disponibles qet des techniques disponibles qui induisent une certaine toxicidté directe sur les cellules, l’utilisation de ce principe de quantification des microorganismes viables demeure assez délicate et devrait être réservée aux populations relativement abondantes (> 1000 cellules/ml) pour ne pas induire de sous-estimation préjudiciable.

La technique PCR est particulièrement utile en contrôle qualité lors de la préparation des vins à la mise en bouteille pour déterminer l’intérêt d’une stabilisation microbiologique et préciser, si nécessaire, le medium filtrant idéal. Elle permet aussi de contrôler en ligne l’efficacité du procédé avant la fin du chantier et d’expédier les vins en vrai connaissance de cause. Avec d’autres types de sondes nucléiques, cette même technique permet aussi de mesurer (sur un même échantillon et dans le même délai) simultanément les levures totales, d’autres types de levures de contamination (Zygosaccharomyces bailli par exemple), les principales bactéries lactiques de contamination (Lactobacillus sp. et Pediococcus sp.) ou les bactéries acétiques du vin (Acetobacter et Gluconobacter sp.). Le système VinoBRETT™ développé par Invisible Sentinel™ offre un système de RT-PCR miniaturisé sans amplification thermique cyclique à la manipulation nettement simplifiée qui permet une estimation semi-quantitative des populations en 4 h seulement avec un seuil de détection avancé apparemment assez faible (10 cellules/ml)31.

La cytométrie de flux est une technique de comptage des cellules des microorganismes à la fois par leur taille et structure (granulométrie et densité) et/ou par leur marquage avec un anticorps spécifique couplé à un fluorochrome (pas de coloration sensus stricto). Le fluorochrome est excité par un laser dont la fluorescence émise est mesurée. Cette technique est séduisante par sa simplicité et sa rapidité. Néanmoins, la technique basique généralement proposée fait appel à un marquage qui n’est pas souvent spécifique de Brettanomyces/Dekkera ! Les promoteurs de cette technique ont d’abord distingué Brettanomyces des autres levures par un critère de taille en supposant que les cellules les plus petites (3 µm) correspondent à Brettanomyces/Dekkera…Or, on sait que le critère de forme ou de taille n’est pas fiable dans les conditions physico-chimiques du vin. En outre, les germes VNC (quiescents) peuvent posséder des tailles très réduites mais également une affinité au couple anticorps-fluorochrome faible ou pour le moins variable. Il s’ensuit que le taux de détection dans le vin par cytométrie de flux des germes supposés être des Brettanomyces s’avère assez élevé (>200 cellules/ml) et la spécificité de la méthode plus que relative.

Le développement récent de réactifs colorants différents utilisant la fluorescence in situ après hybridation avec l’ADN (FISH), ou mieux le couplage FISH-Acide nucléique peptique (PNA-FISH) plus sensible et plus robuste, permet des contrôles par épifluorescence ou par cytométrie de flux (FISH-FCM) réellement spécifiques et plus sensibles (<100 cellules/ml)32 tout en restant moins sensible que la PCR.

Les techniques alternatives utilisant des anticorps pour marquer spécifiquement Brettanomyces doivent utiliser des anticorps monoclonaux ; les anticorps poly-clonaux (Amarok™)33 qui réagissent avec des éléments de la paroi des micro-organismes ne sont pas du tout spécifiques et produisent des réactions croisées avec d’autres micro-organismes phylo-génétiquement proches qui sont souvent abondant dans les vins élevés en barriques…

On pourra également valablement distinguer les cellules mortes des vivantes en couplant la coloration au PNA-FISH à une coloration spécifique des cellules vivantes et mortes avec la technologie Baclight™  par exemple34 permettant la combinaison de sondes biochimiques sensibles à l’état redox des cellules ou à la perméabilité des membranes par exemple capables de refléter l’état viable ou mort des cellules microbiennes.

A côté des différentes méthodes listées ci-dessus, il existe d’autres solutions qui relèvent plus du test de dépistage que d’un réel diagnostic voire même du gadget...

Le test SNIF BRETT® consiste à faire une culture liquide de vin pour déceler la présence de Brettanomyces par la détection olfactive des éthyl-phénols après plusieurs jours d’incubation ; l’intensité relative du risque serait inversement proportionnelle à la vitesse d’apparition de l’odeur…Cependant, la détection de l’odeur des phénols volatils est intimement liée à la sensibilité de chacun et certaines personnes sont vraiment peu sensibles à cet arôme. Ensuite, comme nous l’avons déjà cité plus haut, il n’existe pas de relation stricte entre la production de phénols volatils et la population de levures de contamination. Enfin le délai de réponse du test pour être évidente est assez long. En conclusion, seul un test franchement et rapidement positif permet de tirer une conclusion, mais alors il est souvent déjà trop tard…Un test négatif ne permet pas de conclure avec sureté, mais sa répétition périodique à courte échéance permet néanmoins d’assurer un certain suivi.

La détection de Brettanomyces par une réaction immunologique utilisant des anticorps couplés à une réaction enzymatique colorée (ELISA) a fait l’objet de différentes tentatives. La seule formule commerciale encore apparemment disponible (Z-Brett™ de Z-Enology) utilise une bande de fluorure de polyvinylidène imprégnée de réactifs immobilisés sur laquelle on dépose un volume de centrifugat du vin à tester35. La réponse se traduit après réaction complète par une coloration plus ou moins foncée que l’on peut relier qualitativement et approximativement à une référence. Le test est simple à mettre en œuvre, assez rapide. La sensibilité annoncée est ambitieuse (10 ou 100 cellules/ml) mais elle nécessite pour être atteinte une concentration importante de l’échantillon par centrifugation, ce qu’il n’est pas aisé de réaliser avec une reproductibilité honnête ! En outre, les anticorps développés sont encore une fois polyclonaux et donc pas vraiment spécifiques de Brettanomyces/Dekkera : Zygosaccharomyces sp., Pichia sp., Candida sp. qui sont fréquents dans les vins élevés en barriques réagissent et perturbent le résultat en exagérant la réponse. Ce test ressemble donc plus à une méthode de détection binaire positif/négatif pour des populations en fait assez élevées (> 1000 cellules/ml).

28 CHATONNET P., FLEURY A. 2008 Nouvelles méthodes et nouvelles application du contrôle microbiologique en quasi temps réel par utilisation de la technologie Excell Gen®. Revue des Œnologues, 129, 23-27
29 NOVGA HK, DROMTORP SM, NISSEN H, RUDI K. 2003 Ethidium monoazide for DNA based differenciation of viable and dead bacteria by 5-nuclease PCR, Biotechniques, 010, 812-813
30 RUDI K, MOEN B., DROMTORP SM, HOLCK AL. 2005 Use of ethidium monoazide and PCR in combination for quantification of viable and dead cells in complex samples, Applied and Environmental Microbiology, 71, 1018-1024
31 https://invisiblesentinel.com/products/wine-quality-tests/vinobrett-brettanomyces-bruxellensis/
32 SERPAGGI V., REMIZE F., SEGUEIRO-LE-GRAND A. 2010 Specific identification and quantification of the spoilage microorganism Brettanomyces in wine by flow cytometry : A useful tool for winemakers Cytometry Part A, 77A, 497-499
33 http://amarokbiotech.com/pdf/Poster%20AFC%20Bretta%20V3.pdf
34 https://www.alphalabs.co.uk/pnafish
35 O’NEIL M., LEBRUN S. 2007 Rapid, low-cost assay for detecting Brettanomyces and other spoilage yeasts in wine. United States Patent Application Publication, N° US 2007/0196877 A1

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