La minéralité des vins ou la conversation avec un caillou

La minéralité des vins ou la conversation avec un caillou

La minéralité des vins ou la conversation avec un caillou Inconscient du vin, vraie expression du terroir, quintessence, ou simplement vocabulaire du sommelier pédant, le concept de « minéralité » est en tout cas un concept flou qui est moins caractérisable scientifiquement que sémantiquement… La minéralité en œnologie est plus la manifestation d’une imagerie des cerveaux qu’une réalité tangible n’en déplaise aux poètes. Il n’y a pas de minéralité en soi, sa perception résulte de l’interaction des différents goûts du vin entre eux. C’est ainsi qu’elle existe. En dehors des images éculées, la définition de la minéralité d’un vin reste « inexistante » faute de consensus précis. La chercheuse suisse Pascale Deneulin (Faculté des lettres UNIL, 2018), demandant à 3500 personnes, professionnels et amateurs, de définir le caractère minéral d’un vin, a récolté 50000 termes qu’elle a arrangés en réseaux textuels. En termes de probabilité d’association de mots, et d’idées, « les professionnels et consommateurs avertis pensent au terroir, aux odeurs de pierre à fusil associées à de la fraîcheur en bouche » ; des concepts qui échappent par contre totalement au grand public car « les consommateurs les moins expérimentés font l’analogie avec l’eau et cherchent les éléments minéraux, tels que le calcium et le magnésium ou le sodium». D’un point de vue gustatif, il est non discutable que le caractère minéral d’un vin échappe à un large accord. La minéralité ne serait donc qu’une belle métaphore ? Une autre belle expression qui remplace souvent le mot terroir, aujourd’hui aussi totalement galvaudé ? Avec la minéralité, certains vignerons cherchent à opposer deux mondes associés à deux styles de vin: le monde animal et ses vins ayant du corps, du gras et de la cuisse, et le monde minéral, plus dur, mais reflétant la pureté et la tension, ou encore la tension entre la viticulture bio et biodynamique vis-à-vis de la conventionnelle, écrasée sous les intrants chimiques qui empêche toute possibilité d’expression du potentiel du Terroir. Quelques clichés. L’autre opposition est celle qui opposerait le « primat du nez » à celle du goût et qui occulterait la perception de la vrai minéralité. « Le vin n’est pas fait pour être reniflé, il est fait pour être bu » disait soit disant Henri Jayer. Mais si le vin n’est pas un parfum, il en possède de nombreux et leur grande majorité est perçue par rétro-olfaction, c’est-à-dire en bouche, plutôt que par l’olfaction directe….Où est donc l’anachronisme ? Il est avéré que l’étendue et la sensibilité de la perception olfactive des composés volatils odorants est infiniment plus génératrice d’images sensorielles par le cerveau que celle de la perception gustative et tactile en bouche où la minéralité se révèlerait. Mais là encore c’est inexact. En effet, si l’on part du principe que la minéralité n’est liée directement qu’aux minéraux, on se trompe. Il est notamment faux de penser qu’aucun minéral ne puisse produire de composés volatils et odorants. Le soufre, non pas celui ajouté au vin pour sa conservation, mais celui provenant du raisin via la vigne, métabolisé ensuite par la levure ou pas, peut être influencé par la nature du sol, la viticulture et produire ensuite un assez grand nombre de composés volatils. Les thiols notamment sont des molécules puissamment odorantes, qui se développent au vieillissement et possèdent des arômes à caractère minéraux évoquant pour certains la « roche », la « pierre chauffée » (travaux de Dubourdieu, Bouchilloux et Tominaga). Le sélénium, oligo-élément à la chimie proche du soufre, est connu pour produire également de nombreux composés volatils odorants ; il est probable qu’ils existent aussi dans les vins sans que l’on connaisse encore leurs rôles et caractéristiques sensorielles. Le Brome et le Chlore, sont des minéraux bien connus pour communiquer des odeurs « terreuses » ou « moisi » provenant de composés organohalogénés contaminants (chloro et bromoanisoles). Avec l’iode, de la même famille, ils pourraient également être issus du sol ou de la proximité avec la mer, et produire des composés odorants restant à identifier. Quid alors de la sapidité des minéraux ? On rétorque souvent aux opposants de cette idée qu’il existe bien des gouteurs d’eau (minérale) ce qui est un fait. Par contre, concernant la diversité d’expressions dans ce domaine, sans bien entendu la nier, il faut bien avouer qu’elle est assez pauvre. La dégustation « géo-sensorielle » ne nous éclaire, c’est le moins que l’on puisse dire, pas beaucoup plus. Même si cela déplait, toutes les études scientifiques sur la dégustation et la composition des vins ne permettent pas de lier directement les minéraux des vins aux descripteurs de la minéralité. D’ailleurs aucun composé pris individuellement ne permet d’expliquer pleinement le caractère « minéral » d’un vin. Le travail réalisé dans notre laboratoire en Espagne par Elvira Zaldivar (Caractérisation chemico-sensorielle de l’attribut « Minéral » dans les vins blancs et rouges, 2017, Universidad de la Rioja) que seules des combinaisons complexes entre certains composés volatils et non volatils issus du sol, comme le potassium et le manganèse, du métabolisme de la levure et de l’élevage, permettent de prédire l’utilisation de descripteurs sensoriels corrélés avec la notion de minéralité par le dégustateur. Enfin, il me semble que l’on confonde souvent acidité et minéralité. Ou encore, c’est assez paradoxal je l’avoue, on parle beaucoup de minéralité face à l’absence de vrais caractères dans le vin…un peu comme une « conversation avec un caillou. J’ai pu lire aussi que l’acidité, que l’on nomme plus volontiers vivacité en dégustant les vins, est « le vecteur de sublimation de la minéralité des vins de terroirs. Elle entretient un rapport très subtil avec les sels minéraux qu’ils contiennent tous, avec une grande variabilité selon leur lieu de naissance » selon J. Rigaux. C’est joliment dit, très poétique mais ce n’est pas exactement vrai. L’effet sol dans l’effet Terroir n’est pas là. Bien entendu les minéraux du sol, et pas seulement ceux qui sont présents en grande quantité, jouent un rôle absolument fondamental. Mais c’est un rôle modulé via le microbiote du sol et de la rhizosphère, le complexe argilo-humique et la régulation de l’alimentation hydrique. Ces paramètres combinés influencent d’une manière complexe la composition du raisin ; celle-ci doit être ensuite révélée par l’intervention de processus fermentaires levuriens et bactériens ou encore purement physico-chimiques qui aboutissent, in fine, à la transmutation de la composante minérale du Terroir en vin. Tout cela pour que le vin est fait soit humé et dégusté.
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