La rationalité de la Biodynamie ?

La rationalité de la Biodynamie ?

La ré-émergence du courant biologique et biodynamique dans les paysages agricoles et viticoles au niveau international réintroduit un questionnement sur l’articulation du rôle de l’Homme et de la Nature et c’est une bonne nouvelle. Les promoteurs modernes du courant biodynamique adorent souligner que leurs idées dérangent. « L’idée qui dérange » est, sous-entendu, celle qui détient la vérité contre le complot capitaliste agro-chimique avide de productivisme et de profits sans limites… L’agriculture biodynamique trouve son origine dans une série de huit conférences, connues sous le nom de Cours aux agriculteurs, données par l’occultiste et anthroposophe Rudolf Steiner du 7 au 16 juin 1924 sur le domaine du comte Karl von Keyserlingk à Kobierzyce en Silésie, devant 111 participants proches de Steiner, dont un tiers était lié à l’agriculture. Ce Cours aux agriculteurs est une réponse de Rudolf Steiner aux préoccupations d’un groupe d’agriculteurs se posant des questions sur l’évolution des pratiques agricoles au début du XXe siècle, notamment avec l’arrivée des engrais chimiques et les prémisses de l’agriculture industrielle. Ainsi, l’agriculture biodynamique est une pratique fondée sur les processus qui ont créé la plante plutôt que sur la compréhension de la matière qui la compose ; la biodynamie cherche à être en phase avec le système qui donne la vie sur Terre. Cette dernière ne possède pas la vie, mais elle la reçoit par son appartenance à un système solaire et stellaire. J’avoue que cette définition résume certes le concept mais n’éclaire pas encore forcément sur ses tenants et aboutissant réels. Pour cela, il faut d’abord comprendre ce à quoi on à faire : l’anthroposophie. Le terme « anthroposophie » provient du grec ancien : ἄνθρωπος (ánthrōpos), « être humain », et σοφία (sophíā), « sagesse », littéralement « la sagesse humaine » L’anthroposophie est un courant ésotérique créé par Rudolf Steiner au début du XXe siècle. On y retrouve des éléments empruntés au bouddhisme, à l’hindouisme, au christianisme. De ces derniers, l’anthroposophie tire sa conception du karma et de la réincarnation ; du christianisme, l’idée du Christ en tant que sauveur du monde. Il prône un nouvel accès au monde spirituel pour l’être humain moderne. Steiner est décrit comme «un penseur ésotérique rationnel et systématique» qui s’est librement inspiré de traditions philosophiques éminentes (comme l’idéalisme allemand) et a fait revivre des penseurs emblématiques du passé et en particulier Goethe. Il interprétera Goethe en y voyant les amorces d’une science des phénomènes vivants, puis des phénomènes de l’esprit et c’est à partir de ces bases qu’il développera l’anthroposophie dérivée de la philosophie vitaliste. Il s’agit donc d’un mouvement ésotérique, à caractère religieux, affirmant l’existence d’un monde spirituel qui est à la base du monde matériel, qui possède des techniques de méditation et des rituels. Elle présente, du point de vue scientifique, les caractéristiques d’une pseudoscience : rejet de la notion de réfutabilité, de la science contemporaine et du matérialisme qui en est le fondement épistémologique. En effet, Steiner a élaboré l’idée selon laquelle, par une clairvoyance exacte qu’il dit posséder, il lui serait possible d’accéder à une « science de l’esprit », supérieure selon lui à la science matérialiste. Désormais, l’agriculture biodynamique constituerait une antithèse franche à la démarche agronomique scientifique, qualifiée de savoir installé et auto-suffisant. D’autres parlerons de tension épistémique au sein de la pensée agronomique… Pour autant, la biodynamie revendique d’être rationnelle ! La biodynamie répudie comme obsolète toute représentation simplement mécaniste du monde. Elle n’éclaire jamais l’articulation entre l’ordre du sens qu’elle donne à ses actions et l’ordre de la causalité dont ne cesse d’être présupposée l’effectivité de toute activité humaine. La biodynamie se fonde sur une vision organiciste et idéaliste de la nature, qui se trouve en opposition avec le réductionnisme et le matérialisme en science. La biodynamie est dans une rationalité dialectique (J. Rigaud)! Mais de quelle dialectique s’agit-il ? Serait-ce la dialectique qui s’est développée chez les Sophistes ? Celle définie par Arthur Schopenhauer dans son livre La Dialectique éristique ? Il s’agit d’une méthode de persuasion, dans la mesure où les arguments sont considérés pour leur seule efficacité (c’est-à-dire dans l’unique but de persuader). À ce titre, elle peut apparaître plutôt comme une technique rhétorique. Schopenhauer appelle cet artifice « l’art d’avoir toujours raison ». Il en établit un recueil (non exhaustif) de 38 règles, destinées à faire accroire à un interlocuteur ou à un public que l’on a raison, quel que soit le détenteur de la formule de la vérité. Cette dialectique ne vise pas à la connaissance, ni à la recherche de la vérité, mais indifféremment à cultiver une image de son personnage comme savant ou à défendre une opinion. Tout ceci m’amène à douter de la rationalité en question. Mais plus que de la rationalité de la biodynamie et de ces pratiquants, je doute avant tout et surtout de celle de ses théoriciens ! Mais finalement qu’importe la rationalité ? Les pratiques biodynamiques qui visent à mettre en phase les pratiques de l’homme, son esprit, ses pensées, ses attitudes avec le monde naturel et la ferme qu’il conduit, ont une qualité irréfutable : à défaut peut être de posséder une quelconque efficacité (nous verrons plus tard que c’est loin d’être le cas), elles ne font au moins pas de mal à une mouche. A l’opposé, qui peut nier les excès de l’agronomie productiviste qui ont porté atteintes à de nombreux équilibres naturels sur la planète, atteintes qui aboutissent désormais à la remise en cause de la viabilité du système agro-alimentaire mondialisé ? Personne d’honnête en tout cas ! Mais ne serait-ce pas aussi de l’honnêteté que de considérer, au moins dans le domaine de la viticulture et de l’œnologie qui est mon domaine, que la simple affirmation de sa supériorité et de son opérativité probante, caractéristique première des purs biodynamistes réfutant la force de la mesure et de la démonstration par la preuve, n’est pas différente du principe de « l’affirmation positive ». Une affirmation peut fonctionner parce qu’elle a la capacité de motiver, de programmer notre esprit pour travailler sur la base d’une certaine idée. Peu importe s’il existe une réalité derrière l’idée conçue, l’important est que la personne lui confère la nature de la réalité : l’esprit ne connaît pas la différence entre ce qui est réel et ce qui est fantastique. C’est l’explication de l’effet placebo ! En conclusion, si la biodynamie ressemble à une belle idée, son premier et principal défaut est certainement d’avoir été imaginée par un illuminé à la moralité parfois douteuse et d’être relayée aujourd’hui simplement par des croyants. Finalement, Le premier ennemi de la biodynamie ce n’est, ni la science agronomique, ni les cerveaux matérialistes, mais peut être bien Rudolf Steiner : De mon point de vue, une belle idée n’a pas besoin d’être défendue par de mauvais arguments.
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