Moyens de lutte préventive contre Brettanomyces

Moyens de lutte préventive contre Brettanomyces

Brettanomyces : Mythes d’hier et Réalités d’aujourd’hui

Cette saga est découpée en 6 articles
Lire l’introduction, l’Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins et Quels sont les facteurs et les pratiques qui influencent le développement de Brettanomyces dans les vins ?

Brettanomyces est une levure connue depuis bien longtemps mais qui fait couler beaucoup d’encre depuis peu. Dernier sujet à la mode, les polémiques, mythes, solutions miracles sont désormais légions et contribuent à compliquer énormément un problème sérieux mais pour autant pas si complexe que certains voudraient le laisser croire… L’abondance d’informations de qualité variable sur ce sujet a plutôt nuit à la gestion et à la solution de la problématique Brettanomyces dans les vins rouges. Cet article a pour objectif principal de faire le point sur les éléments clés susceptibles d’influencer significativement le développement de microorganisme dans les vins et de dégager les outils pratiques et efficaces pour le contrôle de son développement.

Le contrôle de Brettanomyces se fait d’abord au vignoble

Cela peut paraître étrange, mais le facteur agronomique influence énormément le risque de contamination gênante. Non pas parce que la source d’inoculation se trouve sur le raisin, mais vigne et l’équilibre de composition du raisin influencent considérablement la sensibilité du vin au développement de Brettanomyces.

En effet, le déséquilibre de l’alimentation minérale de la vigne, et notamment l’excès de potassium, conduit inévitablement à une élévation du pH des moûts puis des vins. Dans certains cas, si l’acidité n’est pas corrigée très tôt, il sera impossible d’utiliser le sulfitage pour inhiber le développement de Brettanomyces. A l’opposé, un défaut de fertilisation azotée par exemple, une concurrence excessive (enherbement mal contrôlé) ou un stress hydrique excessif (terroir à faible réserve en eau ou irrigation mal gérée), risque de produire des raisins difficiles à fermenter. Sans complémentation à la cave, ces raisins connaitront des fermentations lentes ou incomplètes, situations idéales pour favoriser le développement de Brettanomyces à court ou moyen terme. Il peut donc exister des « terroirs », ou plutôt des situations agronomiques, favorisant naturellement le développement de ce germe. Il est de la responsabilité de l’œnologue et surtout du viticulteur de corriger ou de prévenir ces situations de déséquilibres pour éviter des évolutions indésirables du vin a posteriori.

Utilisation du sulfitage

Le dioxyde de soufre est le seul antiseptique autorisé en œnologie mais Brettanomyes/Dekkera est relativement résistant à cet antiseptique. La teneur en dioxyde de soufre moléculaire actif, le seul qui possède des propriétés antiseptiques, dépend principalement de la teneur en dioxyde de soufre libre et du pH (-0,2 unité de pH = + 50 % SO2 actif), plus accessoirement de la température (+1°C = +7% de SO2 actif) et de la teneur en éthanol du vin (+1 % vol. = +5% SO2 actif). Une concentration en dioxyde de soufre moléculaire actif de 0,5 mg/l est juste suffisante pour inhiber la multiplication sans l’empêcher complètement. A partir de 0,7-0,8 mg/l, la teneur devient létale si la température est suffisamment élevée. Ainsi, si une teneur de 25 mg/l est suffisante pour contrôler le développement de Brettanomyces à pH 3,60, il faudra au moins 35 mg/l à pH 3,75 et près de 60 mg/l à partir de pH 3,90… On voit donc bien que l’utilisation du sulfitage est fortement limitée par l’acidité réelle du vin ; ce paramètre représente donc un élément clé de la « résistance naturelle » du vin vis-à-vis des contaminations par ce type de germe. Le sulfitage des vins élevés en barrique doit être encore plus soigneux car la stabilité du dioxyde de soufre dans ces conditions est nettement plus aléatoire. L’élevage bonde de côté de manière prolongée, l’absence d’ouillage au prétexte que l’on utilise des bondes en silicone plus étanches, la réduction des doses de dioxyde de soufre ou l’absence de soutirage régulier pour limiter le travail de la cave sont autant de facteurs qui ont provoqué l’explosion des contaminations dans les caves ses dernières années. Enfin, il faut toujours considérer le sulfitage du vin comme un outil de lutte préventive et non pas curatif !

Le méchage des barriques après leur nettoyage par combustion de soufre est une pratique souvent abandonnée en raison de ses désagréments et même récemment mise en cause au plan légal. Pour autant, l’action du dioxyde de soufre gazeux est particulièrement intéressante pour assurer la désinfection de la surface et des premiers millimètres des douelles de barriques9. La pratique du méchage a démontré son efficacité dans la prévention des contaminations par Brettanomyces lorsqu’aucun autre moyen de désinfection (vapeur en particulier) n’est disponible dans la cave. Son remplacement par des techniques alternatives comme le rinçage à l’eau ozonée ne peut produire exactement le même résultat en raison de l’action essentiellement superficielle du principe actif. Parmi les traitements physiques alternatifs, aucune solution ne possède la simplicité, la productivité, l’efficacité et le coût du méchage basique… Il est donc à souhaiter que cette pratique puisse perdurer encore pour un temps illimité.

La polyploïdie de Brettanomyces et l’efficacité du sulfitage

Brettanomyces existe à travers différentes espèces, mais c’est l’espèce bruxellensis (ex intermedius) qui semble largement dominante en œnologie. Les activités métaboliques impliquées dans l’altération des vins sont fortement dépendantes de la nature de la souche. Parmi ces souches, le nombre de chromosomes varie entre 4 et 9, mais le facteur ploïdie (nombre de copies de ces chromosomes) influence fortement la capacité de développement dans le vin et surtout la résistance de Brettanomyces aux sulfites16. Les souches triploïdes se révèlent les plus adaptées, donc les plus difficiles à combattre par les moyens classiques et en particulier le sulfitage. Ces souches triploïdes ont un avantage adaptatif sur les autres et se répandent donc plus facilement dans les caves. Avec le développement d’outils modernes de typage génétique des souches, la détermination de la ploïdie des populations en présence vient compléter utilement l’arsenal de diagnostic pour ajuster efficacement les moyens de réponse17 quand un problème est décelé.

Hygiène et désinfection du matériel vinaire

Le matériel de cave et les contenants vinaires représentent le principal réservoir de Brettanomyces dans la cave. C’est à partir de ses réservoirs que la contamination, limitée à un lot de vin au départ, peut s’étendre au gré des mouvements de vins et de l’utilisation du matériel, à l’ensemble du volume. La désinfection du matériel est donc un élément crucial du contrôle de ces germes, mais toute désinfection ne sera efficace qu’après un nettoyage suffisant. La situation est plus compliquée avec le bois qui possède une surface développée beaucoup plus importante que l’acier inoxydable ou la résine époxy. En outre, ce matériau est délicat et les procédures de nettoyage et de désinfection ne doivent pas le dégrader. L’eau chaude et la vapeur sont les moyens les plus efficaces et les moins coûteux pour assurer une hygiène prophylactique ou curative des infections microbiologiques des barriques. Une publication spécifique a été consacrée par ailleurs à ce sujet et je renvoie les lecteurs à sa consultation pour obtenir toutes les informations nécessaires18.

 

16 CURTIN C. et al. 2012 Genotype-dependant sulphite tolerance of Australian Dekkera (Brettanomyces) bruxellensis wine isolates. Letters in Applied Microbiology 55, 56-61.

17 ALBERTIN W. et al. 2014 Development of microsatellite markers for the rapid and reliable genotyping of Brettanomyces bruxellensis at strain level. Food Microbiology 42, 188-195.

18 CHATONNET P. 2010 Nettoyage et désinfection appliquées aux contenants vinaires en bois destinés à la vinification et à l’élevage : partie 2/3 : Nécessités, principes et méthodes de désinfection du bois au contact du vin Revue des Œnologues, N° 137, 38-43

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