Brettanomyces : Mythes d’hier et Réalités d’aujourd’hui
Quels sont les facteurs et les pratiques qui influencent le développement de Brettanomyces dans les vins ?
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Lire l’introduction et Ecologie et Origine de Brettanomyces dans les vins
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Brettanomyces est une levure connue depuis bien longtemps mais qui fait couler beaucoup d’encre depuis peu. Dernier sujet à la mode, les polémiques, mythes, solutions miracles sont désormais légions et contribuent à compliquer énormément un problème sérieux mais pour autant pas si complexe que certains voudraient le laisser croire… L’abondance d’informations de qualité variable sur ce sujet a plutôt nuit à la gestion et à la solution de la problématique Brettanomyces dans les vins rouges. Cet article a pour objectif principal de faire le point sur les éléments clés susceptibles d’influencer significativement le développement de microorganisme dans les vins et de dégager les outils pratiques et efficaces pour le contrôle de son développement.
Parmi les techniques de vinification en rouge, la macération pré fermentaire à froid est une pratique parfois utilisée afin de favoriser l’extraction de la couleur, ralentir celle des tannins et obtenir une fermentation alcoolique plus régulière. Cette pratique est réputée à risque. Ce n’est pas exact si elle est conduite proprement. Tout d’abord, comme cité plus tôt, Brettanomyces ne fait pas ou très peu partie de la microflore du raisin et encore moins si le sulfitage en vue de cette pratique a été réalisé correctement (> 5 g/hl). Ensuite, à moins que le moût ne soit contaminé très tôt (par le raisin altéré ou par la cave, le matériel pollué), la population de Brettanomyces reste non décelable ou très minoritaire (5 à 10% au plus de la microflore levurienne) jusqu’à cinq jours de macération ce qui est déjà beaucoup ou excessif si le froid n’est pas suffisamment à disposition [1]. En revanche, si elle s’installe cette population perdurera ! La réalisation d’une macération initiale à froid sans risque impose donc d’utiliser un raisin sain, suffisamment sulfité, refroidi à une température convenable (< 7-8°C), non manipulé par des pompages (pour éviter sa contamination par le matériel vinaire), avec une durée inférieure ou égale à huit jours au plus, pour éviter tous risques de contamination gênante.
Tout accident de déroulement des processus de fermentation représente ensuite une occasion de développement de Brettanomyces qui est un germe opportuniste par excellence. Les cas de contamination après un arrêt de fermentation ne sont pas rares, mais c’est surtout en cas de retard au sulfitage après une fermentation malolactique languissante que le risque est le plus élevé. Dans ce cas, l‘inoculation précoce par un levain de bactérie lactique est recommandé [2]. Malheureusement, dans la pratique, l’efficacité de cette technique reste encore un peu aléatoire si l’inoculation n’est pas précoce (on parle alors de co-inoculation en cours de fermentation alcoolique). D’autres alternatives techniques sont envisageables (voir plus loin).
Les facteurs environnementaux influencent le métabolisme et la croissance de Brettanomyces/Dekkera sp. [3]. Sur le plan de l’équilibre de la composition du vin, la teneur en éthanol du vin affecte négativement la capacité de Brettanomyces à se développer mais il ne faut pas rêver, des vins à 15,5 % voL d’éthanol peuvent aussi être altérés par des souches adaptées à ce type de milieu ! Brettanomyces n’est pas vraiment sensible au pH lui-même mais son élévation facilite grandement la multiplication de Brettanomyces. Le pH naturellement plus acide des vins blancs et rosés (pH < 3,5) les protège indirectement de tout développement important de Brettanomyces/Dekkera. En dessous de 15°C, la croissance est fortement ralentie. L’augmentation de la température favorise la multiplication jusqu’à 32°C ; ceci explique que la fréquence des contaminations soit faible en hiver et augmente fortement en été ou au début de l’automne. On aurait ensuite tendance à penser que l’abaissement de la température des chais d’élevage nettement en dessous de 15°C permettrait de réduire le risque de développement de Brettanomyces. Ce n’est pas inexact. Cependant, il faut se rappeler que c’est le couple éthanol/dioxyde de soufre moléculaire qui est le plus efficace pour limiter les populations en augmentant fortement la durée de la phase de latence12. Or, la teneur en dioxyde de soufre moléculaire dépend, pour un pH donné, de la quantité de SO2 libre et…de la température. Ainsi, réduire fortement la température des chais trouve donc rapidement une limite… En outre, l’abaissement de la température peut avoir d’autres inconvénients (assèchement en cas de conditionnement de l’air artificiel, consume et oxydation plus élevée, rapport bois/vin plus important, vitesse d’évolution du vin modifiée, coût énergétique…). En conséquence, dans la pratique, une température comprise entre 15 et 17°C est idéale (avec 75-80% d’humidité relative pour les barriques). Au-delà de 20°C, le risque de contamination augmente de manière exponentielle et la surveillance doit suivre en conséquence !
La teneur en sucres résiduels du vin représente un autre facteur compositionnel sensible. Le risque de contamination gênante augmente de manière exponentielle avec la teneur en sucres résiduels ! Brettanomyces est une levure capable d’utiliser un grand nombre de sucres différents, y compris certains diholosides comme le tréhalose que peut libérer Saccharomyces en fin de fermentation (notamment si les levures furent stressées) et au cours de l’élevage sur lies. Une quantité résiduelle de sucres (glucose, fructose, galactose, arabinose, saccharose, tréhalose) inférieure à 0,35 g/l peut être suffisante pour permettre le développement d’une population (1000 cellules/ml) susceptible de synthétiser une teneur en éthyl-phénols égale à leur seuil de perception (450 µg/l). Or cette quantité de sucres est disponible dans une très grande majorité de vins rouges à l’issue de la fermentation alcoolique et malolactique8. A partir de 1 g/l, le risque de contamination augmente dangereusement. La qualité et la vitesse d’achèvement des processus fermentaires, en limitant les ressources énergétiques à disposition, représentent le premier facteur de maîtrise du risque Bettanomyces. Ensuite, en raison de la disponibilité accrue de certains substrats au sein des lies et de leur effet protecteur vis à vis du dioxyde de soufre, il est certain que l’élevage prolongé sur lies des vins rouges demeure une pratique pouvant favoriser indirectement le développement de Brettanomyces ; Elle doit donc être réservée aux situations les plus saines et toujours limitée dans le temps. Un soutirage avant l’été est recommandé. Au-delà, la surveillance devra être particulièrement fine si le vin présente des facteurs compositionnels favorables (pH > 3,7 notamment).
Pour autant, bien d’autres substrats peuvent être métabolisés par ce micro organisme dans le vin selon la disponibilité en oxygène (alcool, glycérol…). Le facteur limitant du développement de Brettanomyces n’est donc a priori jamais la ressource énergétique, mais ce n’est pas une raison pour lui offrir un garde-manger rempli. Ainsi, la qualité et la vitesse de l’achèvement des fermentations (alcoolique et malo-lactique) représentent le premier rempart prophylactique.
Le bois de chêne n’est pas la cause de l’apparition plus fréquente du caractère « Brett » dans les vins élevés en barriques. Cependant, il est évident que la structure microporeuse du bois représente un abri idéal pour les micro organismes en général. Les barriques usagées représentent ainsi une source de contamination évidente. Brettanomyces se développe aussi très bien comme nous l’avons déjà cité dans les barriques neuves, mais également dans les cuves en matériau inerte. Bien évidemment, il est beaucoup plus facile de nettoyer et de désinfecter des cuves à surface lisse que des barriques ou des cuves en bois. Ce sont donc les techniques de maîtrise de l’hygiène des contenants en bois qui permettent de réduire le risque de développement de ce micro organisme au cours de l’élevage des vins (voir ci-après).
Brettanomyces peut également se développer au cours du vieillissement en bouteille de manière plus ou moins aléatoire (tout ou partie des bouteilles d’un même lot peut être affecté). Ce micro organisme est d’ailleurs systématiquement détecté parmi les levures des vins vieux en bouteille traduisant une remarquable capacité de maintien au cours du temps. Le plus souvent, les populations avant embouteillage sont extrêmement faibles. De par sa capacité de résistance au dioxyde de soufre, les concentrations employées à l’embouteillage ne permettent jamais de détruire totalement les levures résiduelles. Dès que la teneur en dioxyde de soufre libre a suffisamment diminué dans la bouteille (par oxydation naturelle), Brettanomyces peut se multiplier de nouveau et produire suffisamment de phénols volatils pour causer un défaut malgré une population développée faible. Les conditions de contrôle et surtout d’élimination préventive des populations quiescentes (et difficiles à détecter) de Brettanomyces représentent donc un enjeu capital pour garantir le bon développement des vins en bouteille (voir ci-après) !
La disponibilité des substrats précurseurs des éthyl-phénols dans les vins ne représente pas non plus un facteur limitant. Les acides cinnamiques, trans p-coumarique, férulique et caféique, respectivement précurseurs du 4-éthyl-phénol, 4-éthtyl-guaiacol et 4-éthyl-catéchol, existent principalement dans le raisin sous des formes glycolysées et surtout estérifiées à des acides organiques, principalement l’acide tartrique, qui ne sont pas métabolisables par Brettanomyces14. Certaines bactéries lactiques hydrolysent ces esters en acides libres plus facilement métabolisables en phénols volatils ultérieurement. Il a donc été recommandé d’utiliser des bactéries lactiques sélectionnées pour ne pas posséder l’activité estérase responsable afin de réduire le potentiel de biosynthèse d’éthylphénols malodorants par Brettanomyces15. Pour autant, la proportion d’acides cinnamiques libres existant naturellement dans les vins rouges est toujours naturellement largement suffisante pour produire des quantités de phénols très supérieures aux seuils de perception de ces composés. En foi de quoi cette approche est totalement dénuée d’intérêt… sauf pour les vendeurs de bactéries.
Références bibliographiques
[1] RENOUF V., PERELLO M.C., STREHAIANO P. LONVAUD-FUNEL A., 2006 Global survey of the microbial vasecosystem during alcoholic fermentation in winemaking. J Int Sci Vigne Vin,40(2),pp101-116
[2] RENOUF V., LONVAUD-FUNEL A., 2006 Le suivi microbiologique du vin. Partie 1 : De la parcelle au conditionnement : un outil pour une Œnologie raisonnée. La Revue des Œnologues, 118,pp27-31
[3] CASTRO-MARTINEZ C. 2007 Brettanomyces bruxellensis : Etude Métabolique cinétique et modélisation. Influence des facteurs environnementaux. Thèse Institut Polytechnique de Toulouse N°2487
14 DE LAS RIVAS B. et al. 2009 Molecular screening of wine lactic acid bacteria degrading hydroxycinnamic acids. Journal of Agriculture and Food Chemistry 42, 188-195.
15 https://lallemandwine.com/wp-content/uploads/2014/09/WUP-2-2014-FRANCE.pdf
16 CURTIN C. et al. 2012 Genotype-dependant sulphite tolerance of Australian Dekkera (Brettanomyces) bruxellensis wine isolates. Letters in Applied Microbiology 55, 56-61.
17 ALBERTIN W. et al. 2014 Development of microsatellite markers for the rapid and reliable genotyping of Brettanomyces bruxellensis at strain level. Food Microbiology 42, 188-195.
[2] RENOUF V., LONVAUD-FUNEL A., 2006 Le suivi microbiologique du vin. Partie 1 : De la parcelle au conditionnement : un outil pour une Œnologie raisonnée. La Revue des Œnologues, 118,pp27-31
[3] CASTRO-MARTINEZ C. 2007 Brettanomyces bruxellensis : Etude Métabolique cinétique et modélisation. Influence des facteurs environnementaux. Thèse Institut Polytechnique de Toulouse N°2487
14 DE LAS RIVAS B. et al. 2009 Molecular screening of wine lactic acid bacteria degrading hydroxycinnamic acids. Journal of Agriculture and Food Chemistry 42, 188-195.
15 https://lallemandwine.com/wp-content/uploads/2014/09/WUP-2-2014-FRANCE.pdf
16 CURTIN C. et al. 2012 Genotype-dependant sulphite tolerance of Australian Dekkera (Brettanomyces) bruxellensis wine isolates. Letters in Applied Microbiology 55, 56-61.
17 ALBERTIN W. et al. 2014 Development of microsatellite markers for the rapid and reliable genotyping of Brettanomyces bruxellensis at strain level. Food Microbiology 42, 188-195.