Toxicité du Cuivre en viticulture : mythes et réalités

Toxicité du Cuivre en viticulture : mythes et réalités

On parle beaucoup de la teneur en cuivre des sols viticoles et de son incidence sur la vigne et la vie du sol. Le cuivre métal employé sous différentes formes et à travers différentes « bouilles » a été mis au point à la fin du XIXe siècle pour lutter contre l’un des pires ravageurs du vignoble : le Mildiou de la vigne (Plasmopara viticola). La découverte de l’intérêt du cuivre pour la protection du vignoble fut faite presque fortuitement par Alexis Millardet. Ce professeur de botanique à la faculté des sciences de Bordeaux, au cours d’une sortie en Médoc en octobre 1882, fut étonné de la belle tenue des vignes en bordure de la route, au château Ducru-Beaucaillou à Saint-Julien-Beychevelle (Médoc), chez Nathaniel Johnston. Il s’ouvrit de cette observation au régisseur du domaine, Ernest David (1845-1932), qui lui apprit qu’en Médoc on avait pris l’habitude de répandre un mélange de sulfate de cuivre et de chaux sur les ceps de vigne en bordure des routes pour dissuader les maraudeurs qui volaient les raisins. Alexis Millardet essaya chez lui des solutions contre le mildiou, sur quelques pieds de vigne, pour en observer le développement. Avec son ami Ulysse Gayon, professeur de chimie à la faculté des sciences de Bordeaux, de nombreuses expériences en laboratoire furent appliquées sur le terrain. Ils eurent l’autorisation de travailler sur les vignes du château Ducru-Beaucaillou à Saint-Julien et du château Dauzac à Labarde, appartenant tous deux au négociant Nathaniel Johnston. Les mêmes expériences eurent lieu au château Langoa chez Monsieur Barton à Saint-Julien, régi par Monsieur Jouet, ancien élève de l’Institut national agronomique de Paris. Le mélange cuprique (« bouillie bordelaise ») se situait autour de 3 kg de sulfate de cuivre et d’un tiers de chaux vive dans 100 litres d’eau. Les expériences de 1883 à 1885 furent concluantes et en 1886, le mildiou était jugulé. Il est intéressant de signaler que cette découverte fut également faite par les Bourguignons à la même époque ; le carbonate de sodium remplace l’hydroxyde de calcium dans la « bouillie bourguignonne ». Dès cette époque et jusqu’après la seconde guerre mondiale, les viticulteurs ont appliqué sur la vigne des quantités importantes pouvant représenter de 5 à 50 kg/ha/an de cuivre métal ! Ces quantités répétées chaque année pendant plusieurs décennies ont pu localement créer des accumulations pouvant atteindre des seuils éminemment toxiques pour l’activité biologique des sols en général et pour la vigne elle-même. Mais pour expliquer les effets néfastes du cuivre, ce n’est pas principalement la concentration en cuivre total d’un sol (extraction par un chélatant comme l’EDTA 0,01 mol/l à pH7 dans l’acétate d’ammonium 1 mole/l) qui compte mais plutôt sa biodisponibilité (cuivre extractible par le chlorure de calcium 0,01 mole/l). Désormais, la quantité de cuivre utilisée chaque année peut varier de 1,5 à 5 kg/ha en agriculture biologique, biodynamique ou conventionnelle raisonnée, soit dix fois moins qu’auparavant. La ré-homologation récente du cuivre limite désormais son usage à 4 kg/ha/an sur sept ans. La certification biodynamique Démeter la limite à 3 kg/ha/an. La teneur en cuivre total d’un sol viticole se situe en moyenne autour de 14 mg/kg en France. Mais derrière se cachent de grandes disparités, avec des teneurs maximales enregistrées parfois très élevées sur les sols avec un historique important (plus de 500 mg/kg en Allemagne). Ces teneurs n’ont cependant qu’une importance relative puisque la toxicité du cuivre, vis-à-vis de la vigne comme de la faune du sol, dépend de sa « biodisponibilité ». Qu’est-ce que la biodisponibilité ? Dans un sol, il se produit de multiples interactions entre le cuivre et certains constituants du sol (argiles et matières organiques en premier lieu). De ce fait, seule une petite fraction du cuivre total est « disponible », c’est-à-dire susceptible de passer dans la solution du sol. D’abord, plus le pH du sol est élevé, moins le cuivre est soluble. La solubilité augmente considérablement à partir de pH 5 et diminue fortement à partir de 7. Ensuite, le cuivre a une forte affinité pour la matière organique et dans une moindre mesure pour l’argile. Les sols à forte teneur en argile et matière organique (> 2%) et à pH normal ou alcalin auront donc tendance à davantage stocker le cuivre. La zone « bio-influencée » est localisée au niveau de la rhizosphère qui correspond à la zone d’absorption potentielle la plus importante. La fraction facilement échangeable est plus ou moins biodisponible pour les différents organismes vivants présents dans le sol (racines de vigne, racines des plantes de l’enherbement, vers de terre, microfaune du sol, etc…). Elle doit franchir la membrane de ces organismes, ce qui peut se faire de façon active ou passive. « La biodisponibilité dépend de l’organisme considéré et de ses capacités d’absorption… et de ses capacités à modifier la disponibilité dans son environnement », explique Philippe Hinsinger de l’Inra de Montpellier (https://www.plan-deperissement-vigne.fr/sites/default/files/2018-01/2017_Hinsinger_Cuivre.Bdef_.pdf). En effet, certaines racines de plantes par exemple sont capables de modifier en excrétant des exsudats les caractéristiques du sol autour des racines, notamment son pH en le maintenant autour de la neutralité (6,5-7,0). Cette zone « bio-influencée » au niveau de la rhizosphère impacte fortement ce qui est potentiellement absorbable par la plante en augmentant localement plus de facteurs de complexation du cuivre (agents chélatants). Sur vigne, malgré des teneurs en cuivre dans les sols viticoles parfois élevées, les cas avérés de phyto-toxicité sont peu nombreux. La vigne contourne le problème du cuivre par une stratégie d’évitement. Excepté sur sols sableux ou granitique, le cuivre est peu mobile ; les racines colonisent plus rapidement le sous-sol peu ou pas contaminé, ou encore les racines pourraient diminuer la biodisponibilité de cuivre dans leur rhizosphère en influençant, à travers leurs exsudats, le rhizobiote. Par contre, en entrant en compétition pour les transporteurs du fer dans les racines, les teneurs élevées en cuivre peuvent intensifier les symptômes de la chlorose ferrique en sols calcaires. L’accumulation du cuivre impacte l’équilibre écologique de la micro et macrofaune des sols. Pour autant, au moins en dessous de 600 mg/kg de cuivre total, le cuivre n’induit pas, ni au sens littéral, ni au sens figuré, de stérilisation des sols. Pour autant, il est certain que la combinaison d’un pH acide et d’une teneur en cuivre élevée produit un stress abiotique fort qui provoque une sélection et une adaptation importante du microbiote du sol. Par rapport à d’autres sols, les sols viticoles possèdent le plus souvent une biomasse microbienne inférieure et moins diversifiée. La gestion biologique et biodynamique semblent néanmoins compenser certains de ces aspects négatifs en améliorant notamment la diversité et la qualité des réseaux microbiens. La gestion biologique, tout en usant généralement plus de cuivre et même si quantitativement la biomasse n’est pas beaucoup plus abondante, génère des réseaux microbiens plus coopératifs et plus résilients. Cependant, compte tenu de l’impact de nombreux facteurs, il est impossible de conclure plus à l’impact strict de l’approche biologique ou biodynamique de la gestion du vignoble ou qu’à celui de l’enherbement permanent et de la réduction du travail du sol, procédés classiques dans ce mode d’exploitation, pour expliquer réellement ces résultats ! En ce qui concerne la macrofaune, notamment celles des vers de terre, les vers épigés sont manifestement très sensibles au cuivre : leur population et activité diminuent notablement à partir de 30 mg/kg de total, niveau fréquent en sols viticoles… Les vers qui travaillent plus en profondeur (vers endogés) sont sans doute moins impactés car le cuivre migre peu dans ces horizons. Claude et Lydia Bourguignons, les fameux « scientifiques spécialistes » bourguignons de la microbiologie du sol ont été appelés à la rescousse (Revue du Vin de France, Juin 2018 114-117) pour défendre le cuivre pointé du doigt pour la « toxicité » évoquée ci-dessus. Leur réponse de « scientifiques » tient malheureusement (à leur image n’ayons pas peur des mots) plus du barnum qu’ils ont su développer ces dernières décennies que de la science. En l’absence de contradiction de leur discours, souvent fondé mais reposant désormais plus au mieux sur des clichés éculés, ou au pire sur des contre-vérités (pour ne pas dire parfois des mensonges), le couple médiatique n’hésite pas à expliquer qu’il s’agit purement et simplement d’un complot des firmes capitalistes multinationales fabricantes de pesticides. Et d’expliquer « qu’aujourd’hui, les pulvérisations sont faites strictement sur les feuilles et pas sur le sol comme auparavant et qu’à ce niveau (3 kg/ha/an) le cuivre est totalement consommé par les micro-organismes »… D’une part, Claude Bourguignon paraît oublier qu’à l’automne les feuilles tombent au sol et que ce cuivre n’est pas métabolisé par les micro-organismes mais principalement fixé par le complexe argilo-humique du sol. Et Lydia de rebondir en rappelant que « le métal ciblé est indispensable aux organismes vivants et que le labour profond serait plus dangereux que le cuivre ». Certes le cuivre est utile ; mais il n’est nullement nécessaire pour obtenir des organismes bien fonctionnant de pulvériser plusieurs kilogrammes par hectare du fameux métal qui s’accumule au fil des ans… Et en ce qui concerne la biomasse microbienne, comme expliqué plus haut, c’est même exactement le contraire. C’est aussi oublier les contre-indications du cuivre du point de vue œnologique. Ce métal est relativement bien éliminé du vin par la fermentation alcoolique qui insolubilise et fixe le métal sur les parois de levures ; les niveaux élevés de cuivre identifiables dans un vin fini (> 0,2 mg/l) ont donc plus à voir avec le contact avec un matériel métallique (bronze) contaminant qu’avec les pratiques viticoles. Par contre, il est certain que les doses mesurables sur le raisin et dans les jus sont directement liées à celles appliquées à la vigne. Le cuivre est mesurable jusqu’à plusieurs dizaines de milligrammes par litre. Mais à partir de 1 mg/l, l’oxydabilité des polyphénols du moût est augmentée ; si le cuivre à teneur élevée perdure pendant la fermentation des jus blancs ou rosés, les arômes sensibles à ce phénomène (notamment les thiols aromatiques) seront rapidement et fortement réduits avec un impact évident sur le profil organoleptique typique de certains cépages. Finalement, le cuivre appliqué à la vigne modifie également la microflore levurienne fermentaire naturelle (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01537740/document) et donc potentiellement la révélation biochimique des prescripteurs d’arômes du raisin. Le cuivre est bien entendu un élément indispensable à l’évolution de la viticulture et il est certainement préférable d’éliminer tous les fongicides organiques de synthèse possédant des effets toxiques, repro-toxiques ou mutagènes employés durant des décennies, que de remettre en cause l’emploi de ce métal à court terme. Même si le cuivre à moins de 4 kg/ha ne pose certainement pas de problèmes de toxicité sur des sols bien équilibrés (argile, pH, matières organiques, activité microbiologique), il ne faut pas non plus faire l’autruche et nier certaines évidences. Il est inutile d’accumuler sans contrôle ce type de métal dans l’environnement. Ainsi, toutes les pratiques de luttes phytosanitaires, conventionnelles, raisonnées, biologiques ou biodynamiques, doivent viser à une réduction de son emploi sans compromettre l’efficacité de la protection du vignoble. La combinaison du cuivre à des doses raisonnées avec d’autres produits stimulateurs des défenses naturelles de la vigne, qu’il s’agisse de préparations de plante (prêle, saule, huiles essentielles d’origan, d’oranges…) ou de minéraux (silice, sels de phosphonate), permet de gagner en efficacité tout en réduisant les doses cumulées. L’application des principes de la Biosynergie évoquée plus tôt, c’est-à-dire utiliser tous les moyens naturels, ou pas, mais en tout cas tous les moyens respectueux de l’environnement, permet ainsi de travailler en sécurité pour mieux construire l’avenir, sans se voiler la face ni invoquer des complots fallacieux.
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