Si l’Homme modèle les sols et les paysages, rien ne dit autant l’Homme que les constructions qu’il a bâti. Les architectures rurales historiques reflètent avant tout ce que les matériaux disponibles sur place à bas coût rendaient possible Avec le temps, le développement économique et l’arrivée d’étrangers aux moyens financiers plus ambitieux, le paysage des constructions a pu, selon les pays, les régions et la démagogie des propriétaires, considérablement évoluer. Les bâtiments viticoles ont alors perdu leur simple destination fonctionnelle, ils sont devenus des moyens de différenciation et de symbolisation du prestige du lieu et de son propriétaire. Ils servent à mettre en scène le savoir-faire et les particularités du lieu ; l’architecture est devenue un outil puissant de la communication et du développement de l’image de marque. Des architectes stars, sans forcément de relation historique avec le milieu du vin ont souvent été convoqués pour magnifier des bâtiments devenus plus des supports oeno-touristiques que des constructions purement indispensables à la viticulture et à la vinification. Ils ont permis un renouveau puissant dans la conception de ces bâtiments avec des résultats que chacun appréciera selon ses goûts et ses convictions.
L’Agro-Synergie ne s’intéresse pas aux aspects extérieurs et esthétiques qui sont essentiellement traducteurs de l’égo et du message culturel que les propriétaires souhaitent véhiculer. En revanche, tout en différenciant les implantations au sein de sites déjà anciens (réhabilitation) des nouvelles constructions réalisées ex nihilo, elle devrait imposer quelques règles fondamentales concernant :
- les conditions réservées aux espaces destinés à la vinification, à l’élevage et à la vinification des vins ;
- les matériaux employés et leur impact environnemental local et global ;
- l’intégration au paysage ;
- la capacité à privilégier les ressources locales ;
- l’efficacité énergétique des bâtiments ;
- Exigence à long terme en termes de durabilité et de maintenance
- Prise en compte de la sécurité et du confort de travail.
Ces règles sont celles de l’écoconception en général et du référentiel HQE® (Haute Qualité Environnementale) en particulier, avec quelques particularités d’adaptation qui sont bien synthétisées dans le projet ECOWINERY (www.ecowinery.eu), qui a pour objectif de fournir
https://www.matevi-france.com/uploads/tx_matevibase/Eco-conception_des_caves
des outils méthodologiques simples pour l'écoconception de bâtiments vinicoles aux viticulteurs, œnologues, responsables de domaines, techniciens conseil, architectes...
J’ai particulièrement œuvré à la définition de la composition précise des matériaux par rapport à leur impact sur la composition et la qualité des ambiances intérieurs de ces bâtiments. En effet, la composition intrinsèque de ces matériaux, ou leur traitement a posteriori, peut générer des émissions de composés volatils néfastes à la composition et à la qualité du vin élaboré, manipulé ou entreposé dans les locaux sensibles que sont les cuviers de vinification, les chais d’élevage et les installations de conditionnement en particulier. Des matériaux ou des traitements inadaptés (traitement phytosanitaire, produit de protection ou d’embellissement…) peuvent induire des contaminations altérant les qualités organoleptiques même à distance importante dans les bâtiments au gré de la circulation de l’air.
Cependant, il faut être prudent avec la recherche absolue de « naturalité » des matériaux de construction ou d’isolation car elle ne coïncide pas toujours avec des exigences de performances à long terme. Des règles précises ont été édictées et un référentiel attestant de l’innocuité d’abord et de l’adaptation de ces produits aux ambiances humides et plutôt confinées des chais ensuite a été édicté. Des méthodes d’analyses rapides pour contrôler la qualité de ces ambiances ont été développées et peuvent être mises en œuvre désormais par tout un chacun à des fins de diagnostic détaillé ou de contrôle rapide.
Aujourd’hui encore plus qu’autrefois encore, le souci de l’efficacité énergétique et de l’économie des ressources naturelles doit être pris en compte dans la conception et la gestion de nos bâtiments. Par exemple, les systèmes de climatisation industriels mis en place ces dernières décennies avec des coûts énergétiques jugés de nos jours démesurés sont de plus souvent mal adaptés aux conditions délicates des chais d’élevage (confinement intensifié, vitesse de l’air excessive, dessèchement de l’air, contrôle de l’humidité complexe, transmission de contamination à distance, entretien difficile…), tandis que les anciens avaient réussis à les maîtriser avec des solutions (plus ou moins) simples et toujours empreintes de bon sens : des matériaux naturellement isolants, des chais enterrés où l’évaporation de l’humidité naturelle permet à la fois un refroidissement et le maintien d’une hygrométrie parfaite de l’ambiance, une ventilation permanente et ce sans système énergivore de conditionnement de l’air.
Un autre exemple concerne tous les matériaux placés directement au contact du vin (matériaux des cuves, revêtements, contenant de remplissage, tuyaux, bouchons, bois des barriques,…) qui, compte tenu de la sensibilité du vin aux contaminations chimiques à l’état de traces, doivent encore respecter des règles de composition et de migration allant bien au-delà de la simple « réglementation des matériaux en contact avec les boissons et les aliments » obligatoire.
La génération d’énergie sur le site (photovoltaïque), la récupération des eaux pluviales, la valorisation de la biomasse des déchets, autrefois oubliées sont autant de préoccupations qui doivent aussi être désormais intégrées à la conception et à la gestion de nos bâtiments.
- Au niveau de nos installations de production vinicole, majoritairement construites dans les années 90, nous avons insisté sur la création d’ambiances naturelles dans nos chais d’élevage souterrains dont la température et l’humidité est contrôlée par des systèmes de ventilation naturelle ou mécanique asservies aux conditions climatiques intérieures et extérieures mais sans une climatisation nécessitant une mobilisation énergétique démente. L’isolation thermique des murs des bâtiments est procurée par des briques de terre cuite creuse alvéolée de 30 cm d’épaisseur, et l’isolation des combles répond aux normes les plus élevées (R ≥ 4). Nous procédons peu à peu au remplacement de tous les éclairages incandescents par des systèmes à base de LED plus durables et moins consommateurs. Les eaux pluviales des toits seront collectées et stockées pour être utilisées pour l’arrosage des espaces verts. L’option de production photovoltaïque n’a pas été retenue en raison d’orientations disponibles peu productives ou d’impossibilité d’installation technique compte tenu de l’architecture. Nous essayons modestement, à l’échelle de nos moyens et pas à pas, de réduire notre impact environnemental et d’améliorer l’intégration dans notre environnement et dans le paysage de notre région, en le respectant tout en lui transmettant aussi une signature volontaire.
1 https://www.matevi-france.com/uploads/tx_matevibase/Eco-conception_des_caves
2 Qualité environnementale des ambiances intérieures des bâtiments vinicoles-Choix et contrôle objectifs des matériaux Pascal Chatonnet, Julien Escobessa, Stéphane Boutou Laboratoire Excell - Merignac - France. Revue des Œnologues n° 133 S Novembre 2009
3 https://labexcell.com/presentation-zone-verte
4https://labexcell.com/images/telechargements/fr/equipements/FT_FR_Quick_trap.pdf
5 Contamination of wines and spirits by phthalates: types of contaminants present, contamination sources and means of prevention Chatonnet P., Boutou S., Plana A. August 2014 Food Additives and Contaminants - Part A Chemistry, Analysis, Control, Exposure and Risk Assessment 31(9):1-11
6 Identification of a new source of contamination of Quercus sp. oak wood by 2,4,6-trichloroanisole and its impact on the contamination of barrel-aged wines Pascal Chatonnet, Antoine Fleury, Stéphane Boutou J Agric. Food Chem. 2010 Oct 13;58(19):10528-38.