Une œnologie respectueuse des caractéristiques originales du Terroir
La vinification en Agro-Synergie se limite à récolter le raisin au meilleur moment jugé par le vinificateur et à l’encuver proprement pour laisser se produire la transformation naturelle du raisin en vin par le biais de processus fermentaires devant aboutir à un produit aussi propre que possible, c’est-à-dire libre de défauts graves consécutifs à des accidents ou des contaminations chimiques ou microbiennes indésirables.
Le travail sur le raisin à proprement parler, en termes d’opérations visant à gérer la fermentation et l’extraction des principes du raisin, est du libre choix du vinificateur. Aucun intrant à ce stade n’est utile sauf ceux nécessaires pour compenser éventuellement des déficits de nutrition, au sens complexe du terme (nutriments, facteurs de croissance, facteurs de survie), pour les levures et les bactéries indispensables à la vinification. Ces déficits, finement quantifiés, doivent néanmoins être normalement corrigés au stade du vignoble, par une nutrition adaptée de la vigne, et non pas de manière chronique à la cave par l’utilisation récurrente d’intrants exogènes !
Parmi les pratiques régulièrement controversées en raison de leur « atteinte à l’expression vraie du Terroir », la pratique de l’ensemencement pour réaliser la fermentation (ou/et malo-lactiques) avec des souches de levures (ou/et de bactéries lactiques) sélectionnées et produites par l’industrie revient systématiquement. Les fermentations par « levures indigènes » sont ainsi créditées d’une « authenticité », voire une légitimité, toujours plus grande par rapport aux ensemencements avec des levures commerciales car ces dernières contrediraient ce que certain appelle le « Terroir microbien ». C’est assez séduisant comme concept, il faut bien l’avouer, mais ce n’est pas pour autant vrai…
La notion de « Terroir microbien » est plutôt bien, voire très bien établie, c’est à dire que des études de l’holobionte (phyto, rhizo phylo et endobiotes) de la vigne et du raisin permettent effectivement de différentier des régions, des sous-régions et même des micro-terroirs à l’intérieur d’un domaine particulier sur la base de leur composition et diversité. En revanche, il n’est par contre absolument pas démontré scientifiquement, et même loin de là, que ces différences et les micro-organismes concernés auraient un impact direct sur le profil et la qualité du vin produit! Mais ceci ne veut pas dire non plus qu’ils n’y participent pas de manière indirecte à travers des interactions complexes.
En ce qui concerne le vin, produit de la transformation microbiologique du raisin, il n’existe pas de « levure(s) de cru » constante dans la vigne et sur le raisin. La composition
1 Role of the soil microflora in the definition and the development of the notion of ‘Terroir'. Can it affect the composition
and the quality of the wines? Pascal CHATONNET XVIII CONGRESO NACIONAL DE ENÓLOGOS & II ENCUENTRO DE
ENÓLOGOS DE IBEROAMERICA Palencia, Castilla y León, 4-6 de abril de 2019.
microbiologique varie fortement d’une année à l’autre notamment selon les conditions climatiques pendant la maturation et les traitements appliqués sur la vigne. La certitude des levures provenant des profondeurs du sol et pénétrant par les racines jusqu’au raisin relayée par certaines personnalités du monde biodynamique est totalement affligeante ; sous un « vernis scientifique » avec des protocoles déplorables et des résultats inverses à ce que l’on avance, on conclut à l’opposé de la réalité des faits pour diffuser des idées fausses et entretenir des mythes.
Si « microbiote du cru » il y a, il existe dans la cave ! Tous les travaux d’écologie microbienne depuis Emile PEYNAUD l’ont montré et continuent de le démontrer avec les techniques modernes d’aujourd’hui. C’est à cet endroit, dans le cadre des processus fermentaires de transformation du raisin et d’évolution du vin, que des pressions de sélection constantes et importantes existent. Elles produisent effectivement une sélection des espèces et des souches de levures (et de bactéries) bien adaptées à ces milieux de composition particulière et qui n’ont strictement rien à voir avec celle de la peau du raisin. Bien entendu, les souches de Saccharomyces qui fermentent le raisin n’arrivent pas de la planète Mars directement dans la cave. Elles peuvent exister à faible niveau sur le raisin, être transporté par les insectes, provenir de matériel échangé….mais c’est bien l’environnement de la cave qui assure ensuite le mieux leur maintien puis l’ensemencement primaire du raisin. C’est ainsi que les souches de Saccharomyces cerevisae qui réalisent la fermentation du moût de raisin sont quasiment absentes du microbiote du raisin. En revanche, on les retrouve en abondance sur les mains des vendangeurs, le matériel de traitement de la vendange puis dans toute la cave. La pression osmotique élevée produite par l’augmentation de la concentration en sucres, puis l’apparition d’éthanol, permettent de favoriser naturellement cette levure si bien adaptée.
D’autres levures non Saccharomyces peuvent coexister, surtout dans la première phase de la fermentation tant que la teneur en alcool n’est pas très élevée (<6% vol.), sous réserve que l’on n’utilise pas ou peu de sulfites à la réception de la vendange. Dans le cas contraire, ces levures sensibles disparaissent très rapidement. C’est là un choix technologique important qui peut effectivement orienter le profil aromatique typique du vin car ces levures (Torulaspora delbrueckii, Metschnikowia pulcherima et Kluyveromyces thermotolerans en particulier)
1 Role of the soil microflora in the definition and the development of the notion of ‘Terroir'. Can it affect the composition and the quality of the wines? Pascal CHATONNET XVIII CONGRESO NACIONAL DE ENÓLOGOS & II ENCUENTRO DE ENÓLOGOS DE IBEROAMERICA Palencia, Castilla y León, 4-6 de abril de 2019.
2Cédric Grangeteau, Biodiversité fongique du raisin au vin : impact de l'activité anthropique, Thèse Doctorat. Université de Bourgogne, 2016.
3 Mandl K, Schieck J, Sikhavy-Richter K, Schneider V, Schmidt HP: Vines take up yeasts from soil and transport them through the vine to the stem and skins of grapes, Ithaka-Journal 2015, Arbaz, Switzerland, ISSN 1663-0521, pp. 349 -355,www.ithaka-journal.net/85
4 Recherches sur l'identification génétique des levures de vinification : applications œnologiques Isabelle Masneuf 1996 Thèse de doctorat en Sciences biologiques et médicales. Œnologie et ampélologie - Sous la direction de Denis Dubourdieu. Université Bordeaux 2 .
5http://www.vigneronsbionouvelleaquitaine.fr/wpcontent/uploads/2019/03/4_JTBIO19_LUCAS_PATRICK_Levures_bact%C3%A9ries_bio.pdf
6 Cédric Grangeteau Biodiversité fongique du raisin au vin : impact de l'activité anthropique, Thèse Doctorat. Université de Bourgogne, 2016
7 Emile Peynaud « Les Vins et les jours » Dunod ed., Paris.
8https://pascalchatonnet.com/quels-sont-les-facteurs-et-les-pratiques-qui-influencent-le-developpement-de-brettanomyces-dans-les-vins
présentes en quantité et en diversité très variables, peuvent produire des équilibres aromatiques différents de ceux issus de la fermentation pure par Saccharomyces.
Contrairement à ce que les journaleux rabâchent ad nauseum, on n’utilise pas aujourd’hui de levures sélectionnées pour produire des arômes « chimiques » sur commande de manière à « aromatiser artificiellement » des vins issus de « raisins sans âme »…Non, on utilise des levures sélectionnées parce qu’elles fermentent mieux, plus régulièrement, qu’elles se révèlent mieux adaptées à un cépage, une région, ou une composition particulières du fruit…dans le but de produire, il faut s’en excuser, le meilleur vin possible du point de vue de l’auteur du vin : le vinificateur. Que certains préfèrent ne pas profiter de ce type d’opportunité ? Libre à eux. Qu’ils soient, de ce fait, des producteurs plus respectueux de l’authenticité de leur Terroir ? Certainement pas ! Car ils ne se sont, peut-être, pas donner tous les moyens d’exprimer tous ses caractères.
Une technique alternative à l’ensemencement avec des levures sèches actives industrielles autorisées en production Bio et de sélectionner les souches originelles des levures de sa propre cave, en collaboration avec un laboratoire, de les conserver puis de les reproduire chaque année pour obtenir un ensemencement de qualité, répétable, pouvant associer différents genres et espèces de levures qui se succèderont naturellement au gré de la fermentation (idem pour les bactéries lactiques). Cette option élégante est laborieuse et coûteuse. On pourra toujours accuser ces producteurs, soucieux de produire un vin de la meilleure qualité possible, attachés à la maîtrise des étapes fermentaires si importantes, d’altérer l’effet du millésime… Sans rechercher à neutraliser l’effet du millésime comme certains l’avance, le vinificateur compétent doit résolument et systématiquement s’employer à produire le meilleur du possible et pas seulement « laisser le millésime s’exprimer » pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire… Revendiquer un millésime n’est pas une règle obligatoire pour tous les vins ; sa systématisation sur toutes les bouteilles est devenue quasiment une « règle » commerciale qui force à l’erreur le producteur quand celui-ci est moins facile. Il serait souhaitable de remédier à cette « mode » idiote en millésimant et en valorisant ce qui le mérite, et en assemblant les autres, pour seulement le meilleur et jamais le pire, comme les appellations intelligentes de par le monde ont su le faire.
C’est la une des différences principales de l’Agro-Synergie avec les écoles intégristes ; elle laisse libre champ à l’Homme pour interpréter et gérer les situations et ne lui impose que d’être génial et ambitieux : l’Homme est partie entière du Terroir et pas seulement un spectateur ou un auxiliaire passif. Savoir-faire, expérience, et agilité doivent le caractériser.
Pour autant, il est parfaitement vrai que «… Les grands vins sont délicats, moins on en fait, mieux ils se portent et mieux on s’en trouve. ». L’œnologie moderne créée par Emile Peynaud et Jean Ribéreau-Gayon, puis leurs successeurs, a révolutionné la qualité des vins dont nombre avant eaux étaient incapables de révéler leur vrai origine tant de défauts ils étaient
remplis. « La nouvelle doctrine de vinification est la suivante : faire des vins qui conservent quel que soit leur âge et jusque dans le verre, le goût du raisin d’origine …C’est au vignoble que la qualité de base se gagne. » Nous sommes passés de l’œnologie curative avant 1970 a désormais une œnologie révélatrice du Terroir tout à l’opposé de la standardisation malgré les râleurs obscurantistes.
On lit de plus en plus, c’est profondément dommage quand cela vient de la bouche de certains producteurs ou de sommeliers un peu jeunes, personnalités censées être bien versées dans le sujet, que « les défauts sont en fait la personnalité des vins ». Il faut évidemment lutter contre l’intégrisme hygiéniste qui pourrait au pire, au sens propre comme figuré, stériliser l’expression authentique du caractère du vin. Mais il faut aussi se souvenir d’une seule chose, c’est que la première qualité d’un vin c‘est l’absence de défauts ; mais si c’est bien la première des qualités ce n’est pas toute la qualité ! Chercher le défaut peut faire manquer le tout ; la beauté se révèle souvent à travers des nuances d’imperfection.
Mais ne faudrait-il pas commencer par définir ce qu’est un défaut ? Sans parler du caractère subjectif lié à la capacité de percevoir le défaut par les sens, capacité très variable d’un dégustateur à l’autre, tout en intégrant les dimensions cognitives liées à l’histoire culturelle de chacun qui ne rend pas la perception du défaut universelle, l’évolution des goûts au fil du temps, et sans s’arcbouter sur les règlements législatifs qu’il faut pour autant respecter, il existe pour moi une définition simple du défaut : Le défaut (organoleptique) est le caractère qui fait perdre au vin son identité première. Il peut s’agir d’un voile, d’un masque, d’un maquillage forcé, d’une plaie sanguinolente, d’une cicatrice…peu importe : il s’agit d’un défaut.
Par exemple, le développement de Brettanomyces dans les vins rouge conduit à l’apparition d’arômes bien particuliers (caractère « phénolé », note animale d’urine de cheval) qui, au-delà d’une certaine concentration, doivent être considérés comme un pur défaut car, à partir et au-delà de cette concentration le vin considéré n’aura plus de caractère ni du cépage, ni du lieu ou du millésime, il n’aura plus que l’odeur et le goût de « Brett ». En revanche, il est vrai qu’à une plus faible concentration (dite infraliminaire car non détectable en tant que telle à la dégustation mais avec un seuil variable selon les dégustateurs), ces mêmes phénols volatils provenant de la même Brettanomyces pourront participer positivement à la complexité organoleptique du vin et là, précisément, il ne s’agira pas de défaut. Le dosage est délicat.
Sinon, la seule échappatoire (dans le cadre du respect des limites légales imposées au « vins loyaux et marchands » quand elles existent), c’est la revendication de l’auteur : il est ainsi parce que je l’ai voulu. Sans elle, les débats sur l’existence ou non d’un défaut, ou sur son
Emile Peynaud « Les Vins et les jours » Dunod ed., Paris.
https://pascalchatonnet.com/quels-sont-les-facteurs-et-les-pratiques-qui-influencent-le-developpement-de-brettanomyces-dans-les-vins
caractère « identitaire », ne sont qu’alibis malhonnêtes, masturbation intellectuelle ou barbarie.
Enfin, quant aux défauts, il n’y a pas de débat, si ce n’est démagogique, entre « vin agroalimentaire et « vin artisanal d’origine » : tous doivent être propres et identitaires. S’il n’existe pas de définition objective de la qualité, je pense que l’on devrait tous s’entendre sur le fait qu’une somme de défauts ne peut la créer.
- Dans le cadre de nos vignobles, l’opération de vinification consiste simplement à ramasser un raisin aussi sain que possible au moment que l’on a jugé opportun pour le cépage, la parcelle ou encore la zone dans la parcelle, considérés. La vendange est réalisée mécaniquement ou manuellement selon les parcelles considérées. Chaque apport de vendange fait l’objet d’opérations de triages complexes (densimétrique, dimensionnel, mécanique) pour éliminer les éventuelles impuretés ainsi que les raisins pas assez ou trop murs : un léger sulfitage est appliqué pour empêcher les pullulations bactériennes éventuelles pendant la phase pré-fermentaire qui suit. Nous vinifions usuellement en cépages et terroirs séparés, mais quand c’est possible j’affectionne d’assembler les cépages et de les co-fermenter ensemble. C’est en partie le cas avec les jeunes cabernet franc et le merlot ; c’est toujours le cas pour l’un des trois composants du cru de La Sergue qui associe de vieux merlot à nos malbec du secteur de La Pignière dans la même cuve de fermentation. Après une macération pré fermentaire à froid de 5 à 8 jours qui permet à la microflore levurienne complexe du raisin, essentiellement non Saccharomyces à ce stade, de s’exprimer, une inoculation avec des levures sélectionnées (Bio de préférence) est effectuée. Durant cette première phase, l’extraction est principalement aqueuse, elle permet essentiellement une extraction des pigments et des arômes précurseurs de la pellicule. L’équilibre nutritionnel de nos moûts est systématiquement mesuré à l’encuvage ; il se trouve grâce à notre viticulture Agro-Synergique désormais parfaitement équilibrée (200-225 mg/l d’azote assimilable), mais le développement subtil de la microflore au cours de la phase pré fermentaire en consomme une partie. Ainsi, nous complémentons nos mouts avec des nutriments à base d’extraits de levures apportant facteurs de croissance et de survie naturels adaptés au développement des levures et conformes au référentiel Bio. Une diversité de souche de levures est employée pour éviter toute uniformisation. Nous ne pratiquons pas généralement de correction d’acidité (c’est toléré en Biodynamie/Démeter). La teneur en sucres visée doit maintenir un taux d’alcool final entre 13 et 14,0 % vol., mais certaines années la Nature peut en décider, à la hausse comme à la baisse, autrement…Nous ne nous interdisons pas la chaptalisation dans la limite légale si nécessaire. La fermentation se déroule entre deux et trois semaines, la macération sur pellicules se maintient pendant trois à quatre semaines selon les cuves et le millésime pour révéler l’arôme des cépages et des Terroirs et extraire suffisamment de tannins qualitatifs des pellicules et des pépins afin de stabiliser la couleur et de donner la texture propre à chacun des profils de vin élaboré. L’écoulage permet d’isoler chaque cuvée. Aucun assemblage précoce n’est réalisé de façon à maintenir les caractères différents bien isolés. La fermentation malolactique est réalisée dans la foulée ou parfois simultanément à la fermentation alcoolique grâce à une co-inoculation avec des ferments lactiques sélectionnés permettant de réduire sa durée (deux ou trois semaines) et par là le risque de développement de germes de contamination ou d’oxydation indésirables survenant lorsqu’elle ne s’enchaîne pas facilement. Nous ne réalisons quasiment plus de fermentation malo-lactique en barriques, sauf pour le cru de l’Archange qui, compte tenu de son volume, peut être écoulé parfois directement en barriques. On utilise préférentiellement notre cuverie souterraine en béton qui réduit le besoin de chauffer artificiellement les vins grâce à son inertie thermique naturelle. Les vins de presse, séparés en trois catégories, sont directement et séquentiellement entonnés en barriques usagées, décantés puis dégustés pour décider de leur destination : selon leurs caractères un assemblage rapide ou un élevage séparé dans un premier temps. Après un soutirage grossier et un sulfitage permettant de stopper le développement des bactéries lactiques, pour éviter qu’elles ne s’attaquent à des substrats que nous désirons conserver intacts et prévenir le développement de germes de contamination (Brettanomyces), les vins sont prêts à la deuxième étape de leur élaboration : l’élevage. En résumé, une vinification active mais en réalité très peu interventionniste.